ENFANCE

SIGNALEMENT D'ENFANT DISPARUE
Naiyana NOKNOI, de genre féminin, âgée de 3 ans, métisse caucasienne-thaïlandaise, mesurant 0,92 m, yeux de couleurs marron, cheveux mi-longs bruns (au niveau des épaules).

La disparition de l’enfant a été déclarée par les parents de la victime, Somchai NOKNOI et Emma NOKNOI. Naiyana a disparu le vendredi 4 juillet 2008 entre 22h et 23h. L’enfant a été vue pour la dernière fois par ses parents à Charleston (WV) sur le XXX Blvd, alors que la famille quittait les bords de la Kanahwa pour se rendre à la foire de l’autre côté du boulevard. Selon les dires du couple, un mouvement de foule à la fin du feu d’artifice les aurait séparés de leur fille.

L’enfant était coiffée de deux tresses et portait un t-shirt Charlotte aux fraises blanc, un short rose et des baskets blanches.

RAPPORT DE POLICE : ENFANT TROUVÉE
Ana, de genre féminin, âgée de 3 ans, latina, mesurant 1,05 m, yeux de couleurs marron, cheveux longs bruns (en bas du dos), fait plus que l’âge indiqué. L’enfant portait une robe à fleurs jaunes.

Vendredi 4 juillet 2008, à 21h40 en patrouille de surveillance à la foire de Charleston (WV) avec le gardien de police James DAVIS, un groupe de trois adolescents nous aborde accompagné d’une petite fille. Les adolescents déclarent avoir trouvé l’enfant seule près du carrousel. Nous constatons que l’enfant ne porte aucun signe de blessure ou de négligence. L’enfant dit s’appeler Ana et avoir 3 ans. La détresse et les pleurs engendrés par la situation rendent la communication difficile. La fillette est incapable de nous donner plus d’informations sur son nom de famille ou ses parents. Je prends immédiatement contact avec notre poste de commandement pour l’informer de la situation. Le poste se charge de contacter les services de protection de l’enfance. James amène la fillette à la voiture de patrouille pour la calmer. Cette dernière finit par s’endormir sur la banquette arrière.

À 22h00 le gardien de police William JONES prend contact avec nous et nous informe être à la foire en présence d’un couple à la recherche de leur fille.
À 22h25, le couple en question arrive sur les lieux, mais ne reconnaît pas la fillette endormie comme la leur.
À 23h50 l’assistance sociale Evelyn MILLER arrive sur les lieux pour prendre en charge l’enfant pendant la suite de l’enquête.


Trois. C’est le nombre de doigts qu’elle a montré quand le policer lui a demandé son âge. « Tu t’appelles comment ? » « …Ana. » Parce que c'est comme ça que la surnomme ses parents. « Et elle s’appelle comment, ta maman ? » « Maman… »

Trois. C’est le nombre d’images qu’il lui est resté de cette soirée. Les lumières du carrousel. Une ribambelle de mines inconnues, là, penchées sur elle, visages étrangers qui la suivent jusque dans son reflet. Et puis, y avait cette faucheuse, petit monstre greffé au plafond d’une pièce sans nom. Ana a oublié, ne se souvient que de la peur irrationnelle d’être mangé. La peur, au final, c’est ce qui est le plus resté.

Et si elle avait été un peu plus âgée, peut-être qu’elle se seraient rappelé du vendeur de ballons qui avait happé toute son attention, de la manière dont elle s’était libérée de la main de son père pour se perdre dans la foule et essayer de le rejoindre. Elle n’aurait pas oublié la gamine qui l’a bousculée, parfaite inconnue qui allait pourtant malencontreusement lui prêter son visage pendant les prochaines années. Peut-être qu’elle se serait mieux exprimée, au lieu de pleurer, les hauts-parleurs faisant écho à ses sanglots. (La petite Ana cherche ses parents.) Et peut-être qu'elle aurait été marquée par l’incompréhension des adultes face à cette enfant trouvée que personne n’est venue réclamer. Peut-être. Mais elle était trop jeune, Ana, le soir où son destin s’est joué.


EXTRAIT DU DOSSIER D'ANA - 2013
• ÂGE : 8 ans
• NOMBRE DE PLACEMENT : 6
• PLACEMENT ACTUEL : Mme Susan Hill
• NOTES : Tends à s’isoler. Crise de larmes et de colère fréquente. Mutisme sélectif et hypersomnie à surveiller.

Enfant ballottée, passée de foyer en foyer, parce que c’est jamais le bon moment pour adopter, parce que ça lui arrive de crier, parce qu’on lui a découvert des problèmes de santé compliqué à gérer, parce que ci, parce que ça, elle sait pas. À peine le temps de se faire des amis que la voilà déjà repartie, nouvelle ville, nouvelle école, nouvelle vie. Y a des fois où elle s’y attend, et d’autre, pas vraiment. Gamine en manque de stabilité qui voit défiler les paysages de la Virginie-Occidentale sans vraiment les regarder, car c’est toujours vers ses pensées qu’est tournée toute son attention, à toujours rabâcher les mêmes questions ; pourquoi ça n’a pas marché, pourquoi ils m’ont pas gardé, pourquoi je dois déménager, pourquoi, pourquoi… Forcément, dans son petit monde d’enfant où tout est noir et blanc, il lui faut un méchant. Et quand ce n’est pas son assistante sociale, c’est elle, la coupable, parce qu’elle est pas assez sage, pas assez souriante, pas assez gentille, pas assez intelligente, pas assez belle. Peut-être… À 8 ans, Ana a déjà plein de mots pour dire ce qu’il lui fait défaut. Elle en a un peu moins, quand il s’agit d’expliquer d’où elle vient. Papa et maman sont des personnages qu’elle peine à imaginer, mais de toute façon, la petite ne se fait pas beaucoup d’illusions. Même s’ils existaient, elle n’est pas sûre, Ana, qu’ils la chercheraient ou même qu’ils l’aimeraient. On n'est pas dans Annie, ici c’est la vrai vie. Alors, quand Ana débarque chez Susan, des sacs-poubelles avec ses affaires dans les mains, elle ne s’attend à rien. Certainement pas à se sentir chez soi.

Et Susan est entrée dans la vie d’Ana.
Et Ana est entrée dans la vie de Susan.

Drôle de duo que cette fillette revêche et cette vieille dame fantasque. Deux cœurs abîmés par la solitude, des âmes opposées, pourtant sœur dans leur désir d’aimer et d’être aimé. La maison croule de bibelots, de tableaux et de photos, souvenirs d’une époque où Susan chantait la paix et le pouvoir des fleurs et Ana veut tout savoir, entendre chacune de ses histoires, elle qui n'a jamais mis un poids en dehors de l’état. On se toise, on s’apprivoise, Susan sait comment la calmer, ne se laisse pas intimider par ses excès d’émotions ou ses crises de narcolepsie et les premières semaines de découverte se transforme en mois, puis en 3 années de partage. Le soir, installé dans le canapé, sa tête contre l’épaule de Susan, Ana y croit, à cette fin heureuse que chaque placement lui fait miroiter, l’adoption, ce pour quoi elle semble exister.

CARTE DE LA FÊTE DES MÈRES - 2014
Bonne fête mamie Susan !
Tu es super gentille et drôle et j’aime quand on regarde la télé et qu’on décore des albums photos toutes les deux et aussi quand tu me racontes des histoires. Tu es vraiment la meilleure, car tu m’as inscrit à la danse et tes costumes sont trop beaux.

S comme sympa
U comme unique
S comme super
A comme affectueuse
N comme noisette (tes yeux)

Bisous Ana

Au fond, les symptômes ont toujours été là, seulement, Ana ne les voyait pas, trop aveuglée par le soleil perçant sur sa vie pour remarquer l’ombre qui grandissait dans le dos de mamie. C’était juste des maladresse qu’elle mettait sur le compte de la vieillesse. Des étrangetés qu’elle chassait d’un revers de main, c’est la fatigue, c’est rien. Mais les petites étourderies deviennent de gros oublis et un soir, pas de mamie à la sortie du studio de danse, Ana qui se retrouve à rentrer toute seule dans le noir, mais qui passe l’accident sous silence, la boule au ventre.

« Je crois que faudrait que t’ailles voir un docteur, mamie. T’es bizarre en ce moment, » qu’elle lui a pourtant dit un jour à contre-cœur, parce qu’elle sait que le processus d’adoption est encore loin d’être terminé, qu’un problème de santé avorterait directement le projet. Mais elle a peur, Ana, d'abord de la mort, puis d’une maladie qu’elle a même pas réussi à écrire dans son journal tant elle pleurait, la tête pleine d’information pioche sur Internet. Alzheimer. Il a suffi de trois syllabes contre les lèvres du médecin pour tout faire exploser. « Mais je m’en fous, moi je peux rester et m’occuper d’elle. » Ana qui négocie auprès de son assistante tout en sachant que c’est perdu d’avance. Elle est rien, à 12 ans. Et comme ça, tout s’est terminé. Les soirées devant la télé, les histoires du passé, ses petits spectacles de danse improvisés, les étreintes et les je t’aime murmurés.

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